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Les Agences Régionales de Santé (ARS), 15 ans après leur création

La crise sanitaire du Covid-19 a particulièrement mis en lumière le rôle des Agences Régionales de Santé (ARS). Les ARS sont chargées de l’organisation des soins et des actions de dépistage dans les régions. Que sont ces agences créées il y a 15 ans et quel est leur bilan ?

Les Agences Régionales de Santé (ARS) sont instaurées par la loi Hôpital, patients, santé et territoires du 21 juillet 2009 (« Loi HPST »). Les 26 agences sont installées en avril 2010 (elles ne sont plus que 17 après la création des grandes régions). Offre de soins, prise en charge médico-sociale, prévention… Les ARS sont chargées d’organiser la politique de santé dans les régions, de piloter et réguler l’offre de soins pour répondre aux besoins des populations locales.

Le pilotage régional du système de santé

La création des ARS s’inscrit dans une politique de territorialisation du système de santé commencée dans les années 70. Carte sanitaire des hôpitaux (premier outil de planification), observatoires régionaux de santé (années 80), schéma régional d’organisation sanitaire (SROS) en 1991, programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins (1998), une succession de réformes a renforcé l’organisation du système de santé autour de l’échelon régional.

Avant la création des ARS, de nombreux études pointent un système de santé centralisé, peu efficace et coûteux. En 1993, le rapport sur « Le système de santé à l’horizon 2010 » de Raymond Soubie appelle notamment à une clarification des responsabilités de l’État et de l’assurance maladie ainsi qu’à une démocratisation du pilotage du système de soins. Les bases d’une Agence Régionale des Services de Santé (ARSS) sont posées. En 1996, la régionalisation voit le jour avec la création des Agences Régionales d’Hospitalisation (ARH).

Disparités sociales et régionales d’accès aux soins, mortalité évitable, manque de moyens et de coordination, cloisonnement des services, augmentation des dépenses, en 2008, le rapport Ritter rend un diagnostic sans appel. Le rapport recommande de mettre en place « un pilotage unifié et responsabilisé du système territorial de santé ». Ce pilotage doit être incarné par les ARS, il doit s’exercer dans les politiques de santé, l’organisation des soins et la maîtrise des dépenses.


ARS : quelles sont leurs missions ?

Les ARS sont chargées d’organiser la politique de santé dans les régions, de piloter et réguler l’offre de soins. Le pilotage de la santé publique comprend la veille et la sécurité sanitaires, le financement et l’évaluation des actions de prévention et de promotion de la santé ainsi que l’anticipation et la gestion des crises sanitaires (en lien avec le préfet).
La régulation de l’offre de santé en médecine de ville, à l’hôpital et dans le secteur médico-social (aide aux personnes âgées et handicapées) implique notamment de :

  • coordonner les activités, réguler, orienter et organiser l’offre de services en santé ;
  • fournir le budget ;
  • évaluer et promouvoir la qualité des formations des professionnels de santé ;
  • autoriser la création des établissements et services de soins et médico-sociaux et contrôler leur fonctionnement ;
  • définir et mettre en place des actions pour prévenir le « risque assurantiel » (la probabilité qu’un dommage se produise) avec l’assurance maladie et la Caisse nationale de solidarité et d’autonomie.

La stratégie d’une ARS est définie dans son projet régional de santé (PRS) qui fixe tous les cinq ans ses objectifs pluriannuels ainsi que les mesures pour les atteindre en cohérence avec la stratégie nationale de santé et dans le respect des lois de financement de la sécurité sociale : répondre aux besoins en offre de soins dans chaque région, identifier les zones déficitaires ou d’accès inégalitaire aux services de santé, fidéliser les médecins, notamment.

Les agences contribuent au respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam).


La Cour des comptes voit dans la création des ARS « une forme de décentralisation fonctionnelle de certaines responsabilités, engagée pour la première fois à l’échelon territorial et jugée souhaitable pour permettre de disposer des marges d’initiative et d’autonomie indispensables pour une approche plus partenariale des politiques de santé » (rapport 2012 sur la sécurité sociale).

Quel bilan en 2024 ?

La mise en place des Agences Régionales de Santé a-t-elle atteint ses objectifs ?

En 2014, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) dresse un premier bilan des ARS « une innovation majeure, un déficit de confiance ». Les parlementaires pointent des dysfonctionnements dans le pilotage national des politiques sanitaire et médico-sociale ainsi qu’une coordination insuffisante des différentes administrations (fonctionnement en « tuyaux d’orgues »). La mission recommande notamment d’équilibrer les pouvoirs autour du directeur de l’ARS, en attribuant plus de compétences au conseil de surveillance et en renforçant la démocratie sanitaire dans le cadre des conférences régionales de la santé et de l’autonomie et les conférences de territoire, mais également d’accorder plus d’autonomie d’action aux agences et de faire confiance aux acteurs de terrain. Elle insiste aussi sur la nécessité de donner plus de moyens financiers aux agences pour les soins de ville.

Quatre ans plus tard, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur « Le pilotage de la transformation de l’offre de soins par les ARS » étudie la mise en place de la stratégie nationale Ma santé 2022. Cette stratégie, reprise dans la loi relative à « l’organisation et à la transformation du système de santé  » du 24 juillet 2019, fixe de nouveaux objectifs pour le pilotage territorial de l’offre de soins. L’IGAS met en garde sur les éléments suivants :

  • l’analyse des besoins de la population ne débouche pas toujours sur une meilleure accessibilité et qualité des soins ;
  • les agences doivent disposer de moyens humains et budgétaires suffisants pour une plus grande autonomie d’action. Leur autorité de tutelle doit pour cela « se recentrer sur les objectifs et les résultats et non sur les moyens ».

Claude Evin, ancien ministre de la santé et ancien directeur de l’ARS d’Ile-de-France pendant six ans, publie le 31 mars 2020, à l’occasion des dix ans des ARS, un bilan global de cette « déconcentration régionale ». Il souligne les avancées suivantes :

  • la mise en place d’une gouvernance régionale unifiée ;
  • l’importance du « rapprochement entre les services de l’État et de l’assurance maladie dans les régions » (plan pluriannuel régional de gestion du risque et d’efficience du système de soins) ;
  • un « renforcement de la démocratie sanitaire » grâce à la concertation ;
  • le succès des délégations départementales des ARS, fortement demandées par les acteurs de santé ;
  • une meilleure analyse des besoins locaux.

Pour Claude Evin, le bilan des agences est plutôt positif. Le pilotage du système de santé au niveau régional a été renforcé. En revanche, cette nouvelle organisation n’a pas été prise en compte au niveau national. Pour achever la territorialisation de la politique de santé, il faut encore que les directions centrales du ministère de la santé évoluent « dans leur culture, leur organisation et leur fonctionnement encore très marqués par une démarche top down avec des services déconcentrés. »

Les ARS sont souvent perçues comme des « mastodontes technocratiques » éloignés du terrain, constate un rapport parlementaire en juin 2021. Le bilan que les rapporteurs tirent de l’action des ARS est en demi-teinte. Les agences disposent d’un vaste périmètre de compétences mais la question qui se pose désormais est celle de leur capacité à mener à bien l’ensemble de leurs missions. Les missions de régulation et de structuration de l’offre de santé semblent par exemple mobiliser bien davantage les ARS que leurs missions de santé publique, dont la crise sanitaire est pourtant venue rappeler combien elles sont essentielles.

Si le rapport ne remet en cause ni la logique à l’origine de la création des ARS ni leur statut, il préconise toutefois de repenser leur gouvernance afin de remédier au sentiment d’éloignement des ARS du terrain. Il suggère notamment de renforcer les délégations départementales des ARS et de donner plus de poids aux contre-pouvoirs régionaux qui contrôlent l’action des agences.

Sur ce dernier point, les rapporteurs proposent notamment de transformer le conseil de surveillance des ARS en conseil d’administration co-présidé par le président du conseil régional et le préfet de région. Ils insistent également sur l’importance d’accorder davantage d’autonomie aux agences et de conforter leurs moyens financiers et humains.

Réformer la gouvernance des ARS en renforçant le poids des élus locaux est un des objectifs fixés par la loi du 21 février 2022 (dite « 3DS »), qui a transformé le conseil de surveillance des agences en conseil d’administration. À la suite d’une crise sanitaire qui a montré l’importance d’une action de proximité, cette mesure devrait permettre une plus grande association des collectivités territoriales à la mise en œuvre de la politique de santé. Un décret du 19 juin 2024, qui entre en vigueur le 1er octobre 2024, modifie à cette fin, la composition et le fonctionnement de l’instance.

Des dispositifs opérationnels, qui visent à faciliter l’exercice des professionnels de santé et à améliorer l’organisation de la prise en charge des patients, dans lesquels sont impliqués les collectivités territoriales, existent déjà. Par exemple, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), regroupant des professionnels de santé sur un territoire, sont soutenues par les départements ou les communes. Des aides à l’installation sont en place dans les territoires carencés en médecins, en collaboration avec les collectivités.

Les ARS au centre de la crise sanitaire du Covid-19

La crise sanitaire provoquée par le Covid-19 a eu un fort impact sur le fonctionnement des ARS. Dans la gestion de la crise sanitaire, les ARS ont rempli un rôle central, impliquées dans :

  • l’organisation de la prise en charge des malades, la réorganisation des hôpitaux, l’approvisionnement des matériels, la politique de tests à grande échelle et le suivi des personnes ayant été en contact avec un malade de la Covid-19 (contact tracing) ;
  • l’organisation du déconfinement.
Concrètement, les Agences Régionales se sont chargées de :
  • la délivrance d’autorisations d’activités de soins transitoires et exceptionnelles aux établissement hospitaliers (transformation des lits des unités de surveillance continue et de soins intensifs en lits de réanimation Covid-19) ;
  • la mise en place de plateformes pour les renforts des professionnels de santé permettant d’équiper et rendre disponibles des lits supplémentaires, d’assurer des relèves et de répartir la charge de travail, l’équipement de lits de réanimation, la coordination et la planification des transferts de patients en intrarégional, la mise en place de dispositifs d’appui aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD, l’élargissement du recours aux téléconsultations, etc.

Pourtant, face à la pénurie de masques et de matériels, au manque de lits dans les hôpitaux, au retard dans le lancement des tests, les ARS ont fait  l’objet de vives critiques des élus, soignants et collectivités territoriales pour la gestion de la crise sanitaire.

Lors de la table ronde « La coordination collectivités territoriales – Agences régionales de santé, un premier bilan » organisée le 28 mai 2020 par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, les élus locaux entendus dénoncent des agences « inadaptées à la gestion de l’urgence », « incapables de gérer les flux, les livraisons et les stocks », souffrant « d’un juridisme permanent et du principe de précaution poussé à l’extrême » et rendant des « décisions opaques ». À l’inverse, le sociologue Frédéric Pierru met en garde contre la tentation de faire des ARS des boucs émissaires. Selon lui, c’est la territorialisation des politiques de santé qui n’a pas été réalisée. Il met en évidence les pouvoirs limités des ARS. Les agences « n’ont jamais eu la main sur la médecine libérale et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a conservé son pré carré (…) Les ARS devaient avoir la main sur tout le système de soins et elles ne contrôlent en fait que le seul hôpital. Ce contrôle est en outre étroitement bordé par l’échelon national. »

De son côté, la mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise Covid-19, dans son rapport d’étape publié en octobre 2020, pointe des déficits d’anticipation, de préparation et de gestion de la crise sanitaire. Les experts indépendants recommandent notamment de se pencher sur « le manque de dialogue entre les ministères, l’organisation complexe des relations entre le ministère de la santé et les ARS et instances qui l’entourent, une difficulté d’articulation entre Agences Régionales de Santé et préfectures. » Dans son rapport final remis en mai 2021, la mission recommande notamment de repenser le schéma de la gestion de crise au niveau de l’organisation territoriale, en clarifiant le rôle de coordination des préfets de département et en renforçant les ARS à l’échelon départemental.

La commission d’enquête du Sénat relève dans son rapport pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière du Covid-19 de décembre 2020, des défauts de préparation, de stratégie (ou plutôt de constance dans la stratégie) et de communication adaptée. Les rapporteurs soulignent notamment une organisation territoriale des services de l’État (préfectures et ARS) « mal adaptée » à la situation et une gestion des agences « trop éloignée du terrain ». Le rapport constate également que les collectivités territoriales, en particulier les régions, n’ont pas été suffisamment associées à la gestion de la crise sanitaire.

Plus largement, c’est l’organisation du système de santé qui fait débat : faut-il aller vers plus de centralisation pour mieux lutter contre les inégalités territoriales ou, au contraire, faut-il décentraliser davantage vers des échelons de proximité ?

Source : www.vie-publique.fr


Article publié le 4 septembre 2024.

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